Dimanche, 6h du matin.
Je choisis finalement mon survêtement bleu du PSG, je remplis un sac avec le Mavic Pro, deux batteries de rechange et une tablette. Je m’installe dans la machine à remonter le temps prêtée par un ami, ajuste la molette : 1817…1816.. 1815, 18 Juin, voilà. Je fixe les coordonnées GPS, et j’appuie…
Me voici dans la ferme du Caillou, pile dans le verger ! L’herbe est trempée par les averses de la veille. Je croise un garde et demande à parler à Soult, c’est urgent ! Il rigole et me met en joue mais quand je fais voler le drone, il se ravise et hurle pour en parler à son chef. Au bout de dix minutes de palabres, Soult est devant moi. A son tour, je lui montre une vue prise de l’aéronef à quelques mètres de hauteur et lui demande d’agiter le bras pour s’observer sur l’écran. Je souligne que chacun pourrait ainsi épier sa Majesté le Duc et même le surprendre à pisser contre un arbre. Ce n’est pas très élégant, mais le temps presse, il faut frapper les esprits. Sous le feu des questions, Je prétends être un scientifique ayant mis au point cette invention pour la gloire de l’empire mais devant ses hésitations, je continue :
— Maréchal, voulez-vous vérifier par vous-même où se trouvent placées les troupes du duc de Wellington ?
Il ne me faut pas dix secondes pour faire grimper l’appareil dans l’air pur et lui montrer les images. Il est sonné et décide de me présenter à l’empereur. Plusieurs officiers se sont joints au groupe et je constate avec soulagement que mon drone fait de l’effet. Ils peuvent bien railler mon accoutrement insolite mais tous ces généraux ont devant les yeux leur rêve de militaire de pouvoir observer, sans danger. Seul Ney me snobe et reste un peu à l’écart. Une bonne charge et c’est marre ! doit-il penser.
— Allons Soult, que se passe-t-il, quel est ce vacarme ?
Un homme vient de sortir. Il porte une redingote. C’est lui.
— Sire, cet homme possède un objet extraordinaire qui s’élève dans le ciel et peut repérer des mouvements de troupes adverses.–
— Montre-nous cela, citoyen !
Il semble un peu fatigué. Je suis ému de m’adresser à lui mais aussi tellement exalté que je pars d’un seul trait :
— Mon empereur, je mets à votre service cette machine qui peut prendre des images depuis une grande hauteur dans le ciel. Voici une vision de vos troupes et celles de nos ennemis.
Je fais s’élever le drone à une centaine de mètres cette fois ci. Le champ de bataille apparait intégralement, et l’on devine les bivouacs situés sur le plateau de Saint-Jean derrière la crête avec des silhouettes rouges affairées. L’empereur devient pensif…
— Va Bè ! des bataillons Anglais à cet endroit !?
… puis s’emporte quelques instants plus tard :
— Pas assez proche des lignes la batterie centrale !!
Une envie soudaine de tout réorganiser s’empare de lui, mais Soult le tempère. Je garde moi aussi la tête froide et propose à l’empereur la possibilité de clarifier, une fois pour toutes, les positions respectives de Blücher et Grouchy. J’attends un silence et devant l’indécision générale je lance comme s’il s’agissait d’une réunion commerciale :
— Grouchy est aux Fraises ! Trente mille hommes vont manquer !
L’état-major s’esclaffe devant mon insolence. Soult, à la fois gêné et irrité, prétend que tout est sous son contrôle et que ce n’est pas un faquin, fût-il doté comme moi d’une technologie du diable, qui va régenter le cours de la bataille à venir.
— Du calme, Messieurs. Nous avons des milliers de décisions à prendre ce matin et rien ne doit nous distraire. Ce sont les hommes qui gagnent les batailles et eux seuls. Voyons donc comment celui-ci peut nous y aider. Gourgaud, faites préparer des chevaux et que deux éclaireurs partent en reconnaissance avec notre pinzutu et sa machine en direction de Wavre. Je veux en avoir le cœur net coupa Napoléon.
Je ne pus m’empêcher de siffler entre les dents. Cool !
On va enfin réaliser que Grouchy traînaille et que le « vieux sanglier » se prépare à charger.
Je file aussi sec sur la croupe d’un cheval avec mon cavalier. Nous arrivons en dessous de la Papelotte. J’ai le dos brisé. Je démarre le drone et l’envoie au plus haut afin que les deux estafettes qui m’accompagnent constatent le flot épais de soldats en uniforme gris qui s’écoule en direction de Mont Saint-Jean ainsi qu’une deuxième colonne Prussienne en direction de Plancenoit. Nous revenons au galop et l’empereur est informé de la situation une heure après notre départ. Ma « fenêtre » temporelle de visite va se terminer et de toute manière, les batteries de mon drone sont épuisées et mes arguments le seront aussi.
Vais-je annoncer à l’empereur que s’il ne fait pas revenir Grouchy au plus vite, cette plaine sera le tombeau de l’armée Française ? Qu’il risque de finir lui-même sur une île, et pas en méditerranée cette fois ci ? A quoi bon faire de la peine inutilement …
Je disparus du salon quelques secondes plus tard.
Quel avait été l’effet de mon intervention ? Je me précipitai sur Wikipédia et je constatai que Waterloo était toujours une défaite. Et une défaite retentissante, puisque le titre d’ABBA était toujours un tube. Je percevais cependant que le récit de la bataille était sensiblement différent de celui que je connaissais. Ainsi, les Français semblaient avoir massé des troupes sur l’aile droite bien avant midi. En somme, l’Histoire avait frémi, mais rien de plus.
Je remets çà demain, mardi ? Oui, j’avais prévu Khéops, mais je le ferai un autre jour.
Il me faudra donner une impulsion supplémentaire et je vais m’y prendre autrement. Plus directif, sans doute.
« There be some defeats are painful«