Une saison en enfer

Je suis sur le trottoir depuis hier soir. Des enfants sont venus me déposer sans ménagement et j’ai passé la nuit avec d’autres compagnons d’infortune à partager le récit de nos dernières semaines.

Je confesse que je ne comprends pas très bien ce qu’il s’est passé depuis ce jour ou quelqu’un est venu me couper les jarrets alors que j’étais en pleine croissance. J’ai été transporté de manière très inconfortable et montré à la vue des passants dans une galerie pleine de vent. Une heure après, un homme m’a emmailloté dans une résille ridicule, placé dans le coffre d’une voiture, secoué par les pieds puis enfin installé au centre d’un salon où j’ai été accueilli joyeusement par des enfants. Aussitôt affublé d’habits criards à la manière d’un carnaval, une femme attendrie a conclu ma mise par une étoile au front, un jésus sur la tête et des boules qui pendaient à chacun de mes bras. J’hésitais entre un sentiment de honte qui sied à un sujet qui est transformé en objet et celui d’une vague fierté en écoutant les ravissements répétés des invités.

Puis est arrivée une soirée spéciale au cours de laquelle tout le monde s’est prosterné à mes pieds. J’en garde un excellent souvenir, même si la soif me mordait tout le corps. Il s’ensuivit une semaine de solitude et de complète indifférence à mon égard et enfin cette nuit où j’ai entendu des gens brailler et aller vomir. Tous mes amis de trottoir viennent de raconter la même histoire, même ceux qui sont emprisonnés dans un sac doré et dont je perçois difficilement la voix étouffée.

… Un camion vient de s’approcher avec plusieurs hommes marchant près de lui. Ils ressemblent vaguement à des Rois mages mais j’ai l’intuition qu’ils viennent exécuter une sale besogne. Dieu, Pourquoi nous avoir fait pousser ??

 

 

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